dimanche 8 décembre 2013

Comment apprend-on à compter à la maison des enfants? Conférence de P. Spinelli

Comme chaque année à l'école Montessori du Mans (qui s'est dotée d'une nouvelle ambiance 6/12 ans à la rentrée 2013), une conférence s'est tenue à la maison des enfants, l'"école maternelle", qui accueille les enfants de 3 à 6 ans (voir l'article qui en parle ici).

Cette année, le sujet était les mathématiques, et les outils ainsi que la progression proposée par cette pédagogie. Patricia Spinelli, la directrice de l'Institut Supérieur Maria Montessori, avec qui j'ai eu la chance de participer à un stage il y a quelques semaines, nous a présenté d'une manière synthétique et accessible les fondements de cette pédagogie, et un de ses aspects les plus frappants pour les novices: les mathématiques. Si l'on considère que les quatre opérations sont abordées, voir maîtrisés, avant 6 ans de même que les identités remarquables ou la table de Pythagore...cela suscite de nombreuses interrogations! Pourquoi? Comment? Et avec quoi?

Voici quelques éléments de réponse:

Le crédo de Maria Montessori a toujours été de développer le potentiel de chaque enfant.
Pour ceci, elle a développé dans la Maison des enfants (c'était aussi le nom de la toute première école Montessori à Rome, en 1907), trois types de matériel:

- Le matériel de vie pratique: proche de la vie quotidienne de l'enfant, il a évolué avec le temps.
-Le matériel de vie sensorielle, faisant comme son nom l'indique appel à la vue, au toucher, à l'odorat...qui lui est le même depuis 1907.
- Le matériel de langage.

Le matériel de Vie Pratique: Sa première finalité est de s'adapter à son environnement, l'enfant apprenant les gestes nécessaires à la vie quotidienne.
De plus, ils engagent le mouvement, l'enfant est actif, jamais passif.
Tout matériel sera présenté individuellement à chaque enfant, en principe, même si en pratique, il arrive qu'un camarade qui passe par là "absorbe" ce qu'il voit et entend...
Il construit ses connaissances dans et par le mouvement.
Hebergeur d'image Ainsi, la concentration est le premier objectif, et c'est par l'action individuelle que l'enfant accédera à la socialisation. En effet, après un effort de concentration , les enfants apparaissent comme plus apaisés et plus amènes avec les autres, car satisfaits de leur travail.
La "vie pratique" est la fondation sur laquelle repose l'édifice de la maison des enfants.

Le matériel sensoriel: Il vise l'affinement des sens.
Marie Montessori s'est notamment appuyé sur les travaux d'Itard et de Seguin, deux médecins français, pour développer ce matériel.

Le matériel de mathématiques, est un matériel sensoriel, puisqu'il introduit les concepts par les sens (vue, toucher...), jusqu'au cheminement vers l'abstraction qui advient vers 6 ans.

Le matériel doit apporter des réponses adaptées aux périodes sensibles que traverse l'enfant, il s'agit de permettre le développement, ce n'est pas un matériel didactique.
Maria Montessori s'est donc inspiré du matériel crée par Edouard Seguin, l'homme qui s'était occupé du célèbre Victor de l'Aveyron, et l'a étalonnée par rapport aux phases où l'attention des enfants était à son maximum.
Elle a simplifié certains outils: de 25 barres rouges, elle n'en a gardé que 10 par exemple, et à partir des grands cartons de couleurs, elle a conçu les tablettes de couleurs de petite taille que nous connaissons aujourd'hui. Elle va systématiser le matériel de géométrie, en concevant des tiroirs du cabinet de géométrie regroupant les disques, les quadrilatères, etc.

Comment apprend-on à compter à la Maison des enfants?

Le point de départ des apprentissage mathématiques, c'est la vie pratique. Comme on l'a déjà vu, ce matériel permet d'accéder à la concentration nécessaire pour aborder ensuite le matériel de vie sensorielle.
Jusque là, le matériel est présenté sur un plateau, ou tout est arrangé, placé dans l'ordre d'utilisation afin de permettre que l'enfant soit centré sur son activité.
A 3 ans, l'enfant n'a pas les ressources pour penser son organisation, mais grâce à l'environnement préparé, il va pouvoir construire son organisation intérieure.
Après avoir abordé la vie pratique, on attendra que l'enfant soit prêt à utiliser le matériel de vie sensorielle, sinon, il n'aura qu'un intérêt moteur et non pas de l'ordre de la pensée.

Chaque matériel est présenté par l'adulte, dans des gestes très lents, et sans un mot. Ainsi, l'enfant se centre uniquement sur le mouvement.
Il va opérer un travail de gradation (ranger du plus petit au plus grand, du plus lourd au plus léger...), on introduit alors un concept. Dans un second temps on abordera le langage, et le vocabulaire lié à ce travail.
Ainsi l'enfant va explorer son environnement à travers de nouveaux concepts.

Les notions de mathématiques sont également introduites de manière indirecte: il y a 10 cubes dans la tour rose, 10 barres rouges...le système décimal est donc visuellement et tactilement très présent, dès 3 ans.

Voyons à présent quelle est la progression utilisée en Montessori avec ce matériel si riche, l'objectif visé étant l'acquisition du calcul mental. Les enfants commenceront à l'utiliser vers 4 ans, voir 3 ans 1/2 comme on le constate aujourd'hui.

Pour compter de 1 à 10, on utilise 5 matériels successifs.

1) Les barres numériques

Il s'agit du même matériel que les barres rouges, utilisées auparavant en sensoriel, afin de faire des gradations. La différence est qu'on a peint en alternance de 1 à 10 zones de couleurs, rouges et bleues. Ici, on opère une discrimination visuelle et tactile des unités et du nombre.
On va toucher la 1 ère barre lors de la présentation on énonçant: "c'est 1", puis "1-2, c'est 2", on perçoit ainsi sensoriellement que 2 est plus grand que 1. On continuera toujours sur le principe de la leçon en trois temps, définie par Maria Montessori ("c'est...", "peux-tu me montrer...?", "qu'est ce que c'est?"), jusqu'à 10.
Ensuite, on pourra prolonger l'activité avec des jeux à distance: "va chercher 5, 8...".



2) Les chiffres rugueux

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Oppa-Montessori
On introduit ici la représentation des chiffres, sous la forme de tablettes rugueuses (sauf le zéro!).
On présente les chiffres et leur nom "c'est 5", mais pas dans l'ordre.
En utilisant toujours le principe de la leçon à trois temps, on montre 3 chiffres à la fois, puis on les change de place, jusqu'au 9.

Une fois ces deux étapes abordées, l'enfant pourra associer quantité et symboles, on place les barres dans le désordre de 1 à 10, et on ajoute des petites plaques avec la quantité au bout des barres, en introduisant cette fois l'écriture de 10.
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3) Les fuseaux

Il sont placés dans des casiers allant de 0 (ce concept complexe est introduit à ce stade) à 9. L'enfant prend 1 fuseau, puis 2, et reconstruit le nombre en liant les fuseaux à l'aide d'un élastique. Lorsqu'il a atteint les 9 fuseaux, il constate qu'il n'y a plus de fuseaux en réserve. On voit alors que zéro, c'est "rien". La notion est abstraite, c'est pourquoi elle intervient un peu plus tard.


4) Les chiffres et les jetons

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On reconstitue alors la séquence de 1 à 10 à l'aide des chiffres détourés et de jetons rouges. Cela permet aussi d'aborder le concept de pair ou impair: les jetons sont rangés deux par deux, les uns en dessous des autres, et on voit ainsi que si on peut passer le doigt, c'est un chiffre pair! (Sur la photo, les jetons du 3, du 5, du 8 et du 10-en plus du 9 qui est passé à la trappe- ne rendent pas bien compte de l'alignement deux par deux des jetons).

5) Jeux de mémoire: les chiffres écrits

On demandera à l'enfant d'aller chercher une quantité dans son environnement. S'il voit "3" et qu'il va chercher 3 objets différents ou identiques, on constatera que sa réflexion n'est pas la même.







Le système décimal

1) Les perles dorées

Sur ce plateau figurant la numération décimale, on trouve 1 perle, représentant une unité, puis on compte combien d'unité représentant une dizaine (une barrette), combien de dizaines représentent une centaine (représentée sous forme de carré, puisque 10²=100) et enfin que 10 centaines représente un millier 10 au cube). Selon P. Spinelli, on met véritablement de "l'or" entre les mains des enfants, puisque c'est là qu'ils auront la possibilité de compter jusqu'à l'infini.
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2) Les symboles des grands nombres

Auparavant, les enfants auront étudié les mots nombres à l'aide des tables de Seguin, du nom du médecin qui les a inventées, afin de clarifier les dénomination complexes telles que "treize", "quatorze" ou "quatre vingt".
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Il s'agit ici d'associer les symboles à leur quantité. Sur des cartes que l'on va pouvoir superposer, on va faire un jeu de "magie". Ce travail se fera en groupe.

On demande d'aller chercher, par exemple, 1 millier, 3 centaines, 9 dizaines... On ne forme pas tout de suite le nombre, on étale les unes en dessous des autres, les cartes des milliers, centaines, dizaines et unités. Puis on les superpose, là le nombre "apparaît" et on le relit.

A partir de ce matériel, on va pouvoir commencer à aborder les opérations, et en particulier leur fonctionnement. Vers 4 ans 1/2, les enfants apprennent à lire, puis à lire les nombres, et à écrire, en opérant des parallèles entre tous ces apprentissages.

3) Les timbres

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Là, il s'agit d'un travail individuel.
L'enfant pourra effectuer les 4 opérations, à l'aide de timbres marqués 1-10-100 et 1000, et colorés différemment. Il s'agira de décomposer les nombres, et d'ajouter (pour l'addition), où d'enlever (pour la soustraction) par exemple, des timbres. Le sens des opérations est ici clairement illustré.


4) Le travail de mémorisation

Il a lieu vers 5 ou 6 ans. Par la répétition,  l'enfant va accéder à la mémorisation. Il ne s'agit pas ici de faire du par cœur.
En analysant les opérations, il va faire des liens entre elles, plus ou moins rapidement. Ainsi, l'addition est le contraire de la soustraction, la multiplication s'oppose à la division... On utilisera ainsi les tables de Pythagore, avec le matériel étonnant des tables en couleurs, où sont associées les couleurs, les perles et les valeurs des nombres. qui nous a été présenté lors de cette conférence, (une invention de M. Montessori, et non de Pythagore!), avant d'utiliser les tables que nous connaissons, et que l'enfant remplira à l'aide d'étiquette.

C'est en manipulant le cube du binôme, qui utilise la discrimination des formes, des couleurs et des dimensions, que des concepts très complexes comme l'unité remarquable (a+b)³.


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Cette conférence tout à fait passionnante nous fait voir à quel point la pédagogie Montessori a la capacité d'introduire, dans le respect de l'enfant et de son rythme, des notions qui paraissent encore compliquées à certains adultes(!), avec une intelligence et un bon sens hors du commun.

La Maison des enfants du Mans
10 rue Charles Morancé
72000 Le Mans
aidemoiagrandir@orange.fr
tel: 09 81 11 63 25
http://www.montessori-lemans.fr/








2 commentaires :

  1. Il y a une erreur dans cette explication "Cela permet aussi d'aborder le concept de pair ou impair: les jetons sont rangés deux par deux, les uns en dessous des autres, et on voit ainsi que si on peut passer le doigt, c'est un chiffre impair !" : quand ça passe, c'est pair.
    La photo ne contribue pas à visualiser la manière de ranger les jetons... Dans une classe Montessori, les jetons mais aussi les boutons, et tout le matériel possible (ma fille à la maison le fait avec des quartiers de clémentines...), tout est systématiquement rangés de la même manière. Les objets sont toujours mis deux par deux, bien alignés, avec un espace entre les deux, pour que l'enfant puisse passer son doigt. Lorsque l'enfant range une quantité paire, il passe avec son doigt entre les 2 colonnes, et sent que ça passe. Pour une quantité impaire, le dernier jeton est mis entre les deux du dessus... ce qui fait que "ça ne passe pas". C'est une expérience marquante pour eux, ils intègrent "en profondeur" cette notion de pair/impair. Réflexion d'une enseignante 9-11 ans : elle demandait à ses élèves d'énoncer les critères pour savoir si un nombre est un multiple de 2. Réponse d'un élève : "quand ça passe".

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    1. J'ai compris votre explication, pour moi quand "ça passe" signifiait qu'il y avait un trou, et qu'on pouvait y mettre le doigt! (je ne sais pas si je suis très claire...), mais si ce que vous me dites là est la terminologie officielle, alors je change! Quand à la photo...ma fille est une élève Montessori en formation (comme moi donc) et pour ses 1ers essais, les jetons n'étaient pas correctement mis en paire, on a corrigé le tir ensuite, mais je n'ai pas de photos de ces moments-là!

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